Bonjour,
J’espère que vous avez passé un bel été (et oui bientôt la rentrée !!!) 🙂
A la fin du printemps, j’ai été sollicitée par un chouette réseau gériatrique champardennais RéGéCAP, pour deux sessions de partage autour des troubles de la déglutition chez les sujets âgés, puis quelques temps plus tard, par une copine/collègue qui devait construire un cours sur ce sujet. A alors émergée une question pertinente : comment envisager la prise en soins de patients dysphagiques et notamment que proposer comme outil de dépistage ?
Et voilà qu’hier, je suis tombée par hasard (mais « ce que nous appelons le hasard n’est et ne peut être que la cause ignorée d’un effet connu » d’après Voltaire !!) sur un super article paru récemment dans la revue Dysphagia et rédigé par une équipe d’experts de l’ESSD parmi lesquels Renée Speyer, dont je suis archi fan, et mes admirables comparses de la SF2D, les Prs Virginie Woisard et Eric Vérin. Les références précises et le lien vers cet article (en open access, youpi !) sont proposés à la fin de ce billet.
Pourquoi cet article est-il en or ? Parce qu’il représente une formidable synthèse de ce qui se fait actuellement sur le dépistage et l’évaluation de la dysphagie. Il fournit également de précieuses recommandations.
Je vous propose d’en partager les points clés dans ce billet.
Dans un premier temps, les auteurs évoquent l’absence de véritable consensus sur la définition des termes Dysphagie et troubles de la déglutition. Cela est problématique car la dysphagie représente l’une des premières causes de mortalité chez les adultes et les enfants présentant des troubles neurologiques ainsi que chez les patients atteints d’un cancer de la tête et/ou du cou. Or, si un consensus n’est pas établi, cela complique l’estimation de la prévalence de la dysphagie ; on retrouve d’ailleurs de grandes disparités dans les études de prévalence de la dysphagie. De plus, si le terme n’est pas clairement défini, il semble difficile de dépister et d’évaluer avec une certaine fiabilité psychométrique les troubles de déglutition ainsi que leurs complications et le coût qu’ils représentent pour notre société.
Les auteurs rappellent ensuite que le dépistage consiste à identifier le risque qu’a une personne de présenter une dysphagie. Il constitue une première étape dans la prise en soins puisqu’ainsi identifiés, les patients dysphagiques doivent bénéficier d’une évaluation complète des capacités de déglutition accompagnée éventuellement, de bilans complémentaires. Ils insistent sur l’importance d’utiliser des outils présentant une fiabilité psychométrique.
Le dépistage, également appelé screening. Il s’agit d’un acte rapide qui peut être effectué facilement. Le plus souvent, il est demandé à la personne de déglutir un liquide en faisant varier la quantité et/ou la viscosité. On relèvera alors des signes cliniques tels qu’une baisse de l’oxymétrie, une altération du timbre de la voix, une toux ou encore un renvoi. Il n’y a pas de consensus actuellement sur l’ordre de passation des différents volumes ou viscosités.
Parmi les tests de dépistage actuellement utilisés, on retiendra le Toronto Bedside Swallowing Screening Test ou TOR-BSST (Martino et coll., 2009) qui s’effectue en 2 étapes (dépistage de troubles vocaux et linguaux puis déglutitions consécutives de 10 cuillérées d’eau). Un autre test, le V-VST (Clavé et coll., 2008) propose un essai de déglutition pour 3 différentes viscosités (nectar, pudding et liquide) et 3 quantités différentes (5, 10 et 20ml). Le GUgging Swallowing Screen ou GUSS (Trapl et coll. 2007) quant à lui, offre plusieurs essais sur différentes quantités et viscosités.
Selon Speyer et collaborateurs, tous les patients présentant un risque de dysphagie devraient bénéficier d’un dépistage. Parmi ces sujets à risque, on retient les personnes âgées fragiles, en post-AVC, atteintes d’une pathologie neuroévolutive comme la maladie de Parkinson ou une démence, les enfants et les adultes présentant des troubles neurologiques non évolutifs (paralysie cérébrale par exemple) et les patients avec un cancer des voies aérodigestives supérieures.
Les auteurs précisent toutefois que malgré la nécessité d’utiliser des outils de dépistage validés, il convient selon la pathologie du patient (en cas de trouble cognitif par exemple) d’adapter les modalités du testing et les décisions qui en découleront. Le cas par cas sera alors de mise.
S’il est recommandé de proposer un dépistage dans les 24h suivant l’AVC, il n’y a pas de consensus concernant le délai conseillé pour les autres pathologies.
Le choix de l’outil de dépistage devra être effectué en fonction du type de patients et de leur langue ; en effet, certains tests n’ont été validés que dans certaines pathologies et certaines langues. Par ailleurs, les paramètres psychométriques des tests permettront d’orienter le choix : dans le cas où l’évaluation est difficile d’accès, les tests à haute spécificité seront sans doute préférables, tandis que si la priorité est de réduire le risque de mortalité, il est conseillé d’utiliser un test de grande sensibilité.
Une évaluation clinique des capacités de déglutition devra être proposée, une fois que le patient a été identifié comme étant à risque. Si, à ce jour, la déglutition sous nasofibroscopie et la vidéofluoroscopie représentent les « gold standards » de l’évaluation de la déglutition en permettant de repérer les aspirations, elles ne sont pas toujours facilement accessibles. De plus, il n’existe pas de consensus international sur leur interprétation ni de preuve de la fiabilité psychométrique de leur mesure.
Une évaluation clinique non-instrumentale pourra être réalisée. Elle consiste en un relevé le plus exhaustif possible de l’histoire médicale du patient, un examen physique et une description subjective des troubles de déglutition par le patient (recueil de la plainte). Elle a pour objectifs l’identification des causes possibles des troubles de la déglutition, l’estimation de la qualité de protection des voies respiratoires lors de la déglutition et du risque de fausse route, d’établir le besoin d’adaptation de l’alimentation et le recours à des examens complémentaires. Elle servira de ligne de base pour évaluer la rééducation ou l’évolution de la pathologie.
Il n’existe pas de revues systématiques néanmoins la plupart des auteurs s’accordent sur le fait qu’une bonne évaluation des capacités de déglutition contient :
- une évaluation des capacités cognitives et communicationnelles,
- un bilan anatomique, physiologique et fonctionnel de la sphère ORL (incluant un examen des paires crâniennes),
- un point sur l’état nutritionnel,
- une observation du temps de repas
- et enfin des essais d’intervention (modification du bol, de la posture et manœuvres de déglutition).
Le Mann Assessment of Swallowing Ability ou MASA (Mann, 2002) est un des outils d’évaluation standardisés en anglais en post-AVC. Il existe également une variante pour les cancers tête/cou : le MASA-C.
Le McGill Ingestive Skills Assessment ou MISA (Lambert et coll. 2003) est un outil standardisé en anglais pour l’observation d’un repas.
Les auto-questionnaires peuvent également compléter cette évaluation (par exemple : EAT-10, SSQ, DHI, MDADI, SWAL-QoL) mais ces échelles doivent être utilisées avec recul en raison de leur manque de fiabilité psychométrique.
L’évaluation de l’état bucco-dentaire a pris de l’importance ces dernières années étant donné le rôle-clé que joue la colonisation bactérienne de la bouche dans le développement des pneumopathies de déglutition.
Enfin, il semble pertinent d’évaluer la présence d’un RGO, celui-ci étant fort présent chez les patients dysphagiques.
Concernant le test de déglutition, les auteurs alertent sur les risques importants que peuvent présenter les patients somnolents, médicalement instables, incapables de déglutir leur salive au point qu’il faille les aspirer ; il convient alors de reporter ou d’annuler cette évaluation.
Par ailleurs, il est indiqué que l’auto-alimentation est toujours préférable à l’alimentation par un aidant naturel ou professionnel.
Dans la dernière partie de l’article, les auteurs présentent les défis que représentent l’évaluation des troubles de déglutition sur un plan psychométrique.
Les auteurs terminent l’article par 4 recommandations concernant le dépistage et l’évaluation des troubles de la déglutition :
- Avoir recours à des outils présentant de bonnes performances diagnostiques, une bonne fiabilité et validité psychométriques et qui rencontrent tous les critères de faisabilité.
- Utiliser des outils qui ont les meilleures performances diagnostiques pour les patients à risque de dysphagie.
- Ne plus utiliser des mesures qui présentent des propriétés psychométriques insuffisantes ou pauvres.
- Proposer des formations de qualité pour le dépistage et l’évaluation de la dysphagie auprès de tous les professionnels impliqués dans la prise en soins des troubles de la déglutition.
Ils concluent enfin par l’évocation de 3 défis pour la recherche à venir :
- Continuer les études pour améliorer les mesures existantes incomplètes ou ne présentant pas de fiabilité psychométrique.
- Développer de nouveaux standards, comme l’ltem Response Theory, afin d’améliorer les méthodes psychométriques actuelles.
- Assurer une validité psychométrique dans les études futures, en utilisant le COSMIN framework par exemple. Enfin, utiliser un langage commun pour définir les symptômes et encourager une terminologie adéquate dans le dépistage, l’évaluation et l’intervention dans la dysphagie.
J’espère que vous avez trouvé ce billet intéressant pour votre pratique !
A bientôt !
Anne
Les références de l’article sont ici : Speyer, R., Cordier, R., Farneti, D. et al. White Paper by the European Society for Swallowing Disorders: Screening and Non-instrumental Assessment for Dysphagia in Adults. Dysphagia 37, 333–349 (2022). https://doi.org/10.1007/s00455-021-10283-7
Le lien vers l’article en open-access est là : https://link.springer.com/article/10.1007/s00455-021-10283-7
Merci à Mathilde B. pour sa relecture attentive !
Merci à Caroline B. pour le tip !