Je viens de lire un article qui devrait tous et toutes nous faire réfléchir. Le lien vers l’article en anglais est inséré à la fin de ce billet.
Cet article de trois pages a été publié dans le Journal of Hospital Medecine en mai 2019. Il s’agit d’une synthèse sur l’utilisation des liquides épaissis auprès de patients dysphagiques hospitalisés qui est issue d’une série d’articles intitulée “Ces choses que l’on fait sans raison”. L’auteur, médecin hospitalier, s’appelle William C. LIPPERT. En conclusion de cette synthèse, il remet en cause la prescription systématique de liquides épaissis dans la dysphagie.
Après avoir défini ce qu’est la dysphagie, c’est-à-dire une difficulté ou un inconfort à se nourrir ou à déglutir, l’auteur en évoque la prévalence aux Etats-Unis. Il se base sur une étude de Bhattacharyya en 2014 qui estime le nombre de dysphagies à 13 millions chez les américains.
Puis, l’auteur rappelle que la dysphagie aurait pour conséquence une limitation de la prise de liquide et donc une potentielle déshydratation. Elle augmenterait également le risque de pneumopathie en raison d’une possible introduction d’éléments pathogènes (des bactéries) dans les poumons. Selon LIPPERT, qui se base sur les études de Marik en 2001 et de Lanspa en 2013, 5 à 15% des patients vivant en institution seraient atteints de pneumopathie avec pour un taux de mortalité de 21%.
Le Dr LIPPERT détaille ensuite les procédures de dépistage de la dysphagie. Il cite notamment les protocoles d’évaluation à l’eau où le patient doit déglutir soit des gorgées de 20 ml soit une quantité de 100ml, le professionnel devant vérifier si le patient a toussé. Le Test de DePippo par exemple, présente une sensibilité de 91 %. Il évoque l’utilisation de la vidéofluoroscopie qu’il qualifie de coûteuse, chronophage, exposant les patients aux rayons X et dont il remet en cause la transposition fonctionnelle de la déglutition en citant une étude de Carnaby-Mann de 2008.
L’auteur évoque ensuite les raisons pour lesquelles on a introduit l’épaississement des liquides dans le traitement de la dysphagie. Il s’agit en effet de réduire la vitesse d’écoulement du liquide dans le carrefour aéro digestif afin que le système de protection des voies respiratoires ait le temps de se mettre en place.
Il cite une étude de Clavé en 2006 montrant un effet positif sur le taux d’aspiration chez des patients dysphagiques présentant des pathologies neurologiques et neurodégénératives ainsi qu’une revue de littérature de Loeb en 2003. Pour lui, ces études ne sont pas convaincantes et ne suffisent pas à généraliser l’usage des épaississants. Il leur reproche notamment une recherche basée sur l’imagerie et des groupes trop réduits.
Le Dr LIPPERT fait ensuite référence à des études récentes montrant que l’utilisation des liquides épaissis aurait tendance à augmenter le risque de déshydratation, de malnutrition et de décès et à impacter la qualité de vie. Il se base sur les études de Gillman et de Kaneoka en 2017 qui ont montré que l’épaississement des liquides n’avaient aucun effet sur le risque d’aspiration et de pneumopathie. Néanmoins, ces études excluaient les patients avec détérioration cognitive.
Le Dr LIPPERT ne déconseille cependant pas l’usage des épaississants ni dans le cadre de patients stressés par la toux et les fausses routes ni dans le cadre de protocole de rééducation orthophonique.
Si l’alimentation per os est rendu compliquée par des modifications structurelles, notamment lors de chirurgie ORL, une alimentation sous sonde naso-gastrique ou à travers une gastrotomie peut être proposée. Néanmoins, elle ne réduira pas le risque d’aspiration et de pneumopathie.
En conclusion, si l’auteur déconseille l’utilisation systématique des liquides épaissis, il recommande de laisser le patient boire de l’eau en adaptant les quantités et sous supervision si besoin (notamment chez les personnes présentant une altération cognitive), en position assise, après avoir effectué un nettoyage de la bouche. De plus, il convient de lui apprendre des postures et techniques de déglutition telles que la flexion du menton (« chin-down ») sans oublier de proposer une éducation thérapeutique au patient et à son entourage afin qu’ils comprennent les risques de la dysphagie et l’intérêt de l’implantation d’un protocole adapté aux troubles.
Cela permettrait ainsi d’améliorer la qualité de vie du patient tout en augmentant la quantité de fluide ingérée.
Merci à Estelle V. et Floriane L. pour leurs relectures bienveillantes 😉